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Saisie en valeur du produit de l’infraction : attention à la motivation

Pénal - Procédure pénale
02/07/2020
La Cour de cassation affirme la nécessité de mettre à disposition de l’appelant d’une ordonnance de saisie spéciale du solde créditeur d’un compte bancaire les pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste et rappelle que la chambre de l’instruction doit justifier sa décision. 
Une enquête préliminaire est diligentée par le procureur de la République à l’encontre d’un garagiste. L’enquête patrimoniale permet d’établir qu’il est également dirigeant d’une société spécialisée dans le nettoyage et qu’il vit en concubinage avec une femme avec laquelle il a eu quatre enfants. À noter que celle-ci déclare vivre seule aux services fiscaux et sociaux.
 
Entre 2015 et 2017 le garagiste n’a déclaré que les revenus perçus de sa profession de facteur, soit 22 000 euros par an. Néanmoins, l’enquête révèle que la société qu’il dirige a conclu des contrats générant des revenus de 243 000 euros sur les quatre dernières années, sommes jamais déclarées. À l’actif de la société figurent également des virements pouvant correspondre à des ventes ou réparations de véhicules.
 
Concrètement, le mis en cause possède plusieurs véhicules et sa concubine, salariée dans une société moyennant une rémunération mensuelle de 1 200 euros et allocataire de la CAF à hauteur de 700 euros par mois, est propriétaire de deux véhicules dont une Audi A6.
 
Plusieurs véhicules font l’objet d’une saisie ainsi que le solde créditeur d’un compte bancaire du garagiste d’un montant de 8 058 euros le 12 février 2019.
 
Par une ordonnance du 18 février 2019 et sur requête du procureur de la république, le juge des libertés et de la détention (JLD) autorise le maintien de cette saisie en valeur du produit de l’infraction. Le mis en cause interjette appel.
 
La cour d’appel confirme l’ordonnance du JLD. Elle rappelle que la peine de confiscation est prévue par l’article 324-7 du Code pénal relatif au blanchiment et par l’article L. 8224-5 du Code du travail encadrant le délit de travail dissimulé. Ainsi, « la saisie du produit direct ou indirect de l’infraction en nature comme en valeur, est possible dans ces cas ». Aussi, le JLD s’est prononcé par une ordonnance motivée dans le délai de 10 jours à compter de la saisie conformément à l’article 706-154 du Code de procédure pénale.
 
Enfin la cour relève que le juge estime que les éléments de la procédure laissent penser que le mis en cause « pourrait avoir dissimulé entièrement son activité économique et le produit de celle-ci, caractérisant ainsi les délits de travail dissimulé par dissimulation d’activité et blanchiment de fraude fiscale ». La saisie ne semble donc pas être disproportionnée au regard du montant du produit des infractions.
 
Un pourvoi est formé par le garagiste. Celui-ci conteste l’arrêt de la cour d’appel affirmant que « ni l’autorisation initiale du ministère public, ni le procès-verbal de saisie établi par l’officier de police judiciaire, ni la requête par laquelle le procureur de la République avait saisi le juge des libertés et de la détention n’aient été mis à la disposition de l’appelant » et que la cour n’a pas « apprécier par elle-même l’existence de raisons plausibles de soupçonner la commission de ces infractions ».
 
Le 24 juin 2020, la Cour de cassation va censurer l’arrêt.
 
Dans un premier temps, elle rappelle qu’il résulte des articles 706-153 et 706-154 du Code de procédure pénale que « l’appelant d’une ordonnance de saisie spéciale du solde créditeur d’un compte bancaire peut prétendre, dans le cadre de son recours, à la mise à disposition des pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste ». La Cour souligne alors qu’au regard des mentions de l’arrêt, le Procureur général a déposé au greffe le dossier de la procédure, contenant son réquisitoire et la copie de l’avis d’audience envoyé au demandeur le 4 avril 2019 et adressé par fax avec accusé de réception le même jour à son avocat. La Cour de cassation n’est donc pas en mesure de « s’assurer qu’ont été mis à la disposition du demandeur et de son conseil, d’une part, le procès-verbal constatant les opérations de saisie initiale, d’autre part la requête du ministère public sollicitant le maintien de celle-ci, lesquels devaient nécessairement lui être communiqués ». Notons que dans un arrêt du 24 octobre 2018 (Cass. crim., 24 oct. 2018, n° 17-86.199), la Haute juridiction avait déjà statué en ce sens.
 
Dans un second temps, elle souligne qu’en application de l’article 593 du Code de procédure pénale « tout arrêt de la chambre de l’instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ». Alors, la chambre de l’instruction aurait dû s’assurer par des motifs propres de l’existence d’indices « laissant présumer la commission des infractions sur la base desquelles la saisie du solde créditeur d’un compte bancaire a été ordonnée, à la date où elle se prononce sur le maintien de celle-ci ». Ne l’ayant pas fait en l’espèce, la chambre n’a pas justifié sa décision.
Source : Actualités du droit