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Nature et répression du délit de blanchiment : la Chambre criminelle répond à d’importantes interrogations

Pénal - Procédure pénale
Affaires - Pénal des affaires
13/09/2019

► Le blanchiment, qui s’exécute en un trait de temps, constitue une infraction instantanée ;

Lorsqu’il consiste à faciliter la justification mensongère de l’origine de biens ou de revenus ou à apporter un concours à une opération de dissimulation du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit, le blanchiment, qui a pour objet de masquer le bénéficiaire ou le caractère illicite des fonds ou des biens sur lesquels il porte, notamment aux yeux de la victime et de l’autorité judiciaire, constitue également en raison de ses éléments constitutifs une infraction occulte par nature ;

également, l’assiette de l’amende proportionnelle prévue à l’article 324-3 du Code pénal est calculée en prenant pour base le montant du produit direct ou indirect de l’infraction d’origine, sur lequel a porté le blanchiment ; le produit de la fraude fiscale est constitué de l’économie qu’elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés.

Telles sont les solutions énoncées par la Chambre criminelle dans deux arrêts rendus le 11 septembre 2019 (Cass. crim., 11 septembre 2019, deux arrêts, n° 18-81.040 et n° 18-83.484, FS-P+B+R+I).

C’est à l’occasion de deux affaires que la Chambre criminelle s’est penchée sur la détermination de la nature du délit de blanchiment qui conditionne notamment le régime de la prescription de l’action publique. Pour la première fois également, et donc de façon inédite, elle définit le mode de calcul de l’amende proportionnelle :

  • Première affaire - pourvoi n° 18-81.040 : les révélations d’un ancien employé de la banque suisse HSBC avaient permis de mettre en évidence des faits de fraude fiscale commis par un client détenant des comptes dans cette banque. Le directeur régional des finances publiques, après avis conforme de la commission des infractions fiscales, a déposé plainte à son encontre auprès du procureur de la République pour des faits présumés de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, le montant des droits éludés s’élevant à 235 580 euros. L’intéressé a été reconnu coupable par les premiers juges, notamment de fraude fiscale et de blanchiment et condamné à trente mois d’emprisonnement avec sursis et 1 500 000 euros d’amende. En cause d’appel, le prévenu a justifié avoir fait l’objet de pénalités fiscales et soutenu l’impossibilité de doubles poursuites, pénale et fiscale, en application du principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines, arguant que les faits qui lui sont reprochés ne constituaient pas des faits graves susceptibles de justifier une procédure pénale. Il a également fait valoir que les faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale qui lui étaient reprochés se confondaient et ne pouvaient, en application du principe ne bis in idem, donner lieu à une double déclaration de culpabilité. En cause d’appel, les juges ont confirmé le jugement, soutenant que le délit de blanchiment était une infraction continue, qui perdure après l’ouverture des comptes et le dépôt sur ceux-ci des sommes dissimulées au fisc, quelle que soit leur utilisation ultérieure ou leur absence d’utilisation.

Les juges l’ont également condamné à une amende d’un million d’euros, au motif que les dispositions de l’article 324-3 du Code pénal permettaient de retenir comme base de calcul le montant global des sommes créditant les comptes ouverts au nom de la société Basic International sur la période de référence et dont le ministre était en réalité le propriétaire, soit au moins la moitié de la somme de 7 544 220 euros détenue par le prévenu.

  • Seconde affaire - pourvoi n° 18-83.484 : dans la seconde affaire, les faits de l’espèce concernaient la parution dans le journal Mediapart d’un article affirmant que le ministre du Budget de l’époque avait détenu un compte bancaire en Suisse. Une enquête préliminaire, ainsi que d’autres éléments, ont permis d’établir la détention par l’intéressé d’un compte ouvert auprès de la banque suisse UBS. Une information judiciaire a alors été ouverte notamment du chef de blanchiment de fraude fiscale. Une note de Tracfin a révélé que les fonds litigieux avaient été ensuite transférés dans une banque à Singapour, au nom d’une société immatriculée aux Seychelles, avant d’être rapatriés en France à l’initiative du ministre. L’information judiciaire a révélé qu’un avocat et conseil juridique d’une société impliquée dans ces opérations avait participé au montage financier et que, bénéficiant d’une procuration sur le compte, l’avocat était intervenu dans le transfert de sommes, remises ensuite, en espèces, au ministre. Renvoyé devant le tribunal correctionnel, l’avocat a été condamné pour avoir apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un délit de fraude fiscale, en participant activement à la dissimulation des avoirs du ministre.

En cause d’appel, pour rejeter l’exception de prescription de l’action publique soulevée par le prévenu, l’arrêt a énoncé que le blanchiment reproché constituait un délit tout à la fois continu et occulte et, qu’en conséquence, la prescription n’avait commencé à courir que le jour où les faits avaient été portés à la connaissance du procureur.

Des pourvois ont été formés contre les décisions d’appel, permettant à la Chambre criminelle de répondre à deux questions auxquelles elle n’avait pas encore eu l’occasion d’apporter de réponse :

Quelle est la nature du délit de blanchiment ?

Une infraction instantanée. Par ces deux arrêts, la Chambre criminelle juge qu’il se déduit de la définition du blanchiment posée par l’article 324-1 du Code pénal que ce délit, qui s’exécute en un trait de temps, constitue une infraction instantanée. Cette solution contribue à marquer la distinction entre le blanchiment et le délit voisin de recel, qui lui est une infraction continue. Elle n’exclut pas que dans la logique de décisions déjà rendues en matière d’escroquerie (Cass. crim., 17 décembre 1974, n° 73-91.110) ou même de blanchiment (Cass. crim., 16 janvier 2013, n° 11-83.689, FS-P+B et Cass. crim., 9 décembre 2015, n° 15-83.203, FS-D) des opérations répétées de dissimulation, de placement ou de conversion, portant en particulier sur des mêmes fonds, exécutées sur une longue période, puissent être considérées comme formant un tout indivisible, la prescription ne commençant alors à courir qu’à partir de la dernière opération.

Dans la première affaire concernée, la Chambre criminelle casse l’arrêt de la cour d’appel qui avait considéré que, le blanchiment étant une infraction continue, il perdurait du seul fait que les fonds dissimulés à l’administration fiscale, versés sur le compte ouvert à l’étranger antérieurement à la période de prévention, se trouvaient toujours détenus sur ce compte au cours de cette période (pourvoi n° 18-81.040).

Si elle énonce dans le second arrêt (pourvoi n° 18-83.484) que c’est à tort que la cour d’appel, pour écarter l’exception de prescription de l’action publique, a considéré que le blanchiment était un délit continu, elle ne casse pas pour autant sa décision en raison de la réponse apportée à la seconde question soulevée par le pourvoi.

Une infraction occulte. Si elle considère que le blanchiment constitue toujours une infraction instantanée, la Chambre criminelle opère en revanche une distinction entre les différents cas de blanchiment pour répondre à cette seconde question. Elle relève que, lorsqu’il consiste à faciliter la justification mensongère de l’origine de biens ou de revenus ou à apporter un concours à une opération de dissimulation du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit, le blanchiment a pour objet de masquer le bénéficiaire ou le caractère illicite des fonds ou des biens sur lesquels il porte, notamment aux yeux de la victime et de l’autorité judiciaire. Elle en conclut qu’il constitue dans ces deux cas, en raison de ses éléments constitutifs, une infraction occulte par nature.

Dans l’affaire considérée (pourvoi n° 18-83.484), le prévenu a été poursuivi pour avoir participé à une opération de dissimulation de fonds provenant d’une fraude fiscale. Rappelant que le délai de prescription d’une infraction occulte court à compter du jour où elle est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir fixé le point de départ de la prescription à la date à laquelle les faits ont été portés à la connaissance du procureur de la République.

L’assiette permettant le calcul de l’amende proportionnelle qui sanctionne le blanchiment de fraude fiscale est-elle constituée par le montant des sommes imposables dissimulées ou le montant de l’impôt éludé ?

Bien que censurant les dispositions de l’arrêt attaqué relatives à la déclaration de culpabilité du chef de blanchiment, la Chambre criminelle considère que les enjeux liés à la question de la détermination de l’assiette de l’amende proportionnelle, qui lui est posée pour la première fois, nécessitent qu’il y soit répondu (pourvoi n° 18-81.040). Elle constate que les termes de l’article 324-1, alinéa 2 du Code pénal, qui définit le blanchiment comme le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit, impliquent nécessairement que les biens ou les fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment, visés par l’article 324-3 du même code, sont constitués par ce produit.

Elle en conclut que l’assiette de l’amende proportionnelle prévue par ce dernier texte ne peut être calculée autrement qu’en prenant pour base le montant du produit direct ou indirect de l’infraction d’origine, cette solution étant seule compatible avec les termes de la loi.

Elle censure l’arrêt attaqué, considérant qu’il se déduit de l’article 1741 du Code général des impôts que le produit de la fraude fiscale est constitué de l’économie qu’elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés, les sommes imposables dissimulées à l’administration fiscale constituant l’objet de la fraude. Il en résulte que l’assiette de l’amende proportionnelle prévue à l’article 324-3 encourue par l’auteur d’une opération de blanchiment de fraude fiscale doit être déterminée en prenant pour base de calcul le montant des droits éludés et non celui des sommes imposables dissimulées.

 

 

June Perot

Source : Actualités du droit