Retour aux articles

Une loi attendue pour faire respecter la dignité humaine en prison

Pénal - Peines et droit pénitentiaire, Procédure pénale
02/10/2020
Le Parlement a 5 mois pour adopter une nouvelle loi permettant de faire respecter le droit à la dignité des détenus. 
Une nouvelle étape de franchie pour la fin de la détention dans des conditions indignes. Pour mémoire, la France a été condamnée le 30 janvier dernier par la CEDH pour conditions de détention dégradantes et inhumaines et absence de recours effectif ayant pour finalité de prévenir ou faire cesser la situation (v. Surpopulation carcérale : la France épinglée par la CEDH, Actualités du droit, 6 févr. 2020). Suite à cette condamnation, la Cour de cassation en a tiré les conséquences et a jugé que des conditions indignes de détention pouvaient constituer un obstacle à sa poursuite (v. Libération d’un détenu pour conditions de détention indignes : c’est désormais possible !, Actualités du droit, 8 juill. 2020).
 
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le sujet, le Conseil constitutionnel a choisi de juger la loi, et ce, indépendamment de l’interprétation de la Cour de cassation.
 
Conclusion : le Conseil censure l’article 144-1 du Code de procédure pénale portant sur la détention provisoire et donne au Parlement 5 mois pour faire voter une loi permettant aux personnes placées en détention provisoire de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité humaine.
 
 
La dignité humaine : un principe à valeur constitutionnelle
Concrètement, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 137-3, 144 et 144-1 du Code de procédure pénale, encadrant la détention provisoire.
 
Les requérants considèrent que « faute d'imposer au juge judiciaire de faire cesser des conditions de détention provisoire contraires à la dignité de la personne humaine, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans une mesure affectant le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, celui de prohibition des traitements inhumains et dégradants, la liberté individuelle, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée ».
 
La QPC porte précisément sur l’alinéa 2 de l’article 144-1 du Code, qui dispose que : « Le juge d'instruction ou, s'il est saisi, le juge des libertés et de la détention doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire, selon les modalités prévues par l'article 147, dès que les conditions prévues à l'article 144 et au présent article ne sont plus remplies ».
 
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel rappelle alors qu’il appartient aux autorités judiciaires et administratives de « veiller à ce que la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne ». Autorités et juridictions doivent donc prévenir et réprimer les agissements portant atteinte à la dignité d’une personne placée en détention provisoire et ordonner la réparation des préjudices subis.
 
Mais, également, les Sages retiennent qu’il « incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu'il y soit mis fin ».
 
 
Aucun recours effectif prévu
Le Conseil constitutionnel note dans un premier temps qu’une personne placée en détention provisoire exposée à des conditions de détention contraires à la dignité humaine peut saisir le juge administratif en référé en se fondant sur les articles L. 521-2 ou L. 521-3 du Code de justice administrative. Néanmoins, « les mesures que ce juge est susceptible de prononcer dans ce cadre, qui peuvent dépendre de la possibilité pour l'administration de les mettre en œuvre utilement et à très bref délai, ne garantissent pas, en toutes circonstances, qu'il soit mis fin à la détention indigne ».
 
Ensuite, s’agissant de la possibilité pour la personne placée en détention de former à tout moment une demande de mise en liberté en vertu de l’article 148 du Code de procédure pénale, mais « le juge  n'est tenu d'y donner suite que dans les cas prévus au second alinéa de l'article 144-1 du même Code », à savoir :
- la détention provisoire excède une durée raisonnable ;
- au regard de la gravité des faits reprochés ;
- en fonction de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité ;
- et la détention n’est plus justifiée par l’une des causes énumérées de l’article 144 du même Code.
 
D’autant plus que si l’article 147-1 autorise le juge à ordonner la mise en liberté d’une personne en détention provisoire, « ce n'est que dans la situation où une expertise médicale établit que cette personne est atteinte d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention ».
 
C’est ainsi que les Sages soulignent qu’aucun recours devant le juge judiciaire ne permet à une personne en détention provisoire d’obtenir qu’il soit mis fin aux atteintes à sa dignité résultant de ses conditions de détention.
 
 
Une loi attendue
« Par conséquent, et indépendamment des actions en responsabilité susceptibles d'être engagées à raison de conditions de détention indignes, les dispositions contestées méconnaissent les exigences constitutionnelles précitées » conclut le Conseil constitutionnel.
 
Ces dispositions sont donc abrogées mais pour éviter d’entraîner « des conséquences manifestement excessives », le Conseil décide de reporter la date d’abrogation au 1er mars 2021. Ce report laisse 5 mois au Parlement pour voter une loi facilitant la libération des personnes placées en détention provisoire dans des conditions indignes.
 
"C'est une très grande victoire pour l'Observatoire international des prisons (OIP) qui scelle un combat contentieux de près de 8 ans pour la reconnaissance du droit à la dignité des détenus", s'est félicité son avocat, Patrice Spinosi, après la décision du Conseil (AFP, 2 oct. 2020).
 
 
Source : Actualités du droit