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Loyauté de la preuve en matière pénale : quel périmètre ?

Pénal - Procédure pénale
11/12/2019
La Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, est venue préciser le sens et la portée du principe de loyauté de la preuve en matière pénale. Ainsi, le recours à un stratagème par les autorités publiques qui cherchent à apporter la preuve d’une infraction, est-il possible ? 
Une personne médiatique, victime de tentative de chantage d’une personne prétendant détenir une sextape dans laquelle elle apparaîtrait, porte plainte. Pour découvrir l’identité des malfaiteurs, le procureur de la République autorise un officier de police judiciaire à négocier par téléphone avec la personne soupçonnée, sous pseudonyme, en se faisant passer pour l’homme de confiance du plaignant.
 
Une information a été ouverte et a permis d’établir l’existence de l’enregistrement en question. Les principaux protagonistes ont été interpellés et mis en examen pour chantage et association de malfaiteurs notamment.
 
Ces derniers ont, devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles, déposé des requêtes sur le fondement de l’article 173 du Code de procédure pénale et l’un d’eux a demandé l’annulation de la procédure en raison notamment de la provocation à l’infraction de la part d’un fonctionnaire de police dont ils auraient fait l’objet. La chambre a rejeté les requêtes déposées.

Après des pourvois formés par deux des mis en examen, la Cour de Cassation a cassé et annulé l’arrêt (Cass. crim., 11 juill. 2017, n° 17-80.313) pour violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme, protégeant le droit à un procès équitable, et l’article préliminaire du Code de procédure pénale.
 
Saisie sur renvoi, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, a confirmé la position de celle de Versailles et dit qu’il n’y a lieu d’annuler les pièces de la procédure. Des nouveaux pourvois ont été formés, la chambre criminelle a alors renvoyé l’affaire en Assemblée plénière.
 
Rappelons que les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve selon l’article 427 du Code de procédure pénale. Les limites : le principe de légalité et le principe de loyauté.
 
La Cour de cassation a été saisie de deux griefs visant le principe de loyauté des preuves :
  • une provocation à la commission de l’infraction ;
  • l’usage d’un stratagème prétendument déloyal.
Dans un premier temps, la Haute juridiction rappelle que « constitue une violation du principe de loyauté de la preuve toute provocation à la commission de l’infraction de la part des agents de l’autorité publique ». Pour autant, en reprenant l’arrêt de la chambre de l’instruction, les juges estiment qu’il « ressort clairement de la procédure que ces derniers avaient un plan très abouti pour parvenir à la remise des fonds ».
 
Ainsi, « le policier qui a tenu un rôle d’intermédiaire s’est inséré dans un processus infractionnel indivisible caractérisant une entreprise de chantage et n’a en aucune manière provoqué à la commission de l’infraction ».
 
Concernant le stratagème, les juges réunis en Assemblée plénière rappellent le principe selon lequel « le stratagème employé par un agent de l’autorité publique pour la constatation d’une infraction ou l’identification de ses auteurs ne constitue pas en soi une atteinte au principe de loyauté de la preuve ».
 
Une exception prévoit qu’est proscrit le stratagème qui « par un contournement ou un détournement d’une règle de procédure, a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie ». Ainsi, en l’espèce, invoquer le fait que le procédé prétendument déloyal aurait conduit à l’interpellation des auteurs, sans démontrer ni alléguer une atteinte à leurs droits, « n’est pas fondé » selon la Cour de Cassation.
 
Les pourvois sont ainsi rejetés par les juges de la Haute Cour (Cass. crim., 9 déc. 2019, 18-86.767). Ces derniers ont notamment suivi l’avis du premier avocat général, qui concluait son propos en affirmant que, « pour reprendre la fameuse formule du doyen Carbonnier, "si les coups bas sont interdits, les simples ruses de guerre ne le sont pas". En l’espèce, c’est une ruse de guerre - et de bonne guerre - qui a été mise en oeuvre par les policiers sous l’autorité du procureur de la République ».
 
Le juge d'instruction va alors pouvoir clore l'instruction judiciaire et renvoyer les mis en examen devant le tribunal correctionnel. 
Source : Actualités du droit